mercredi 13 avril 2016

La réforme foncière en RDC : un processus constipé sur fond des intérêts politiques ?


L’organisation  Congolaise  Alternatives, spécialisée dans la gouvernance foncière,  exprime des vives inquiétudes sur la situation actuelle de la réforme foncière en RDC qui semble marquer un coup arrêt. Cette paralysie s’apparente  au sort réservé au processus de la révision du code minier qui sur influence des industries extractives a été renvoyée aux calendes Grecques au grand damne des communautés locales.
Ce blocage du processus de la réforme foncière vient se produire au moment où les conflits fonciers sanglants ont atteint un niveau exponentiel  surtout dans les milieux ruraux en province du Sud - Kivu ; entrainant des expropriations fréquentes sans observance de la loi, les démolitions pour cause d’utilité publique sans indemnisation, etc. Plus loin ce sont des communautés qui s’opposent sur les modes de gestion des terres se traduisant par des incendies des villages entiers, des déplacements de populations et des massacres. Dans ce contexte, les élites politiques seraient soupçonnées de  tirer de gros bénéfices du système foncier actuel  car semble – t il, ils n’auraient pas  intérêts de déconstiper le processus de la réforme foncière si non de le bloquer à tout jamais.  

Lancé depuis 2012, le processus de la réforme foncière en RDC  a connu très peu d’évolution. Si en 2013, la commission nationale de la réforme foncière a été mise en place sur base d’un décret du premier ministre, il est fort de constater que quatre ans plus tard, les résultats se font rares et peu d’actions  sont à mettre à  l’actif  de cette commission.

L’avènement de ce processus avait pourtant  suscité dans le chef de la population beaucoup d’espoirs. Il était évident pour les acteurs  impliqués dans le secteur foncier que le cadre légal à la base de plusieurs confusions, allait finalement être éclairci. Ceci, en mettant fin  aux pratiques opportunistes  au sein des systèmes sociaux locaux, orchestrées par certaines élites politico – militaires. Ces derniers sont souvent accusés de manipuler les règles multiples  édictées par l’Etat  et les pratiques traditionnelles qui tentent à préserver les usages coutumiers en s’assurant une réelle maitrise foncière.

Cette confusion a occasionné un laisser-aller dans lequel  ces  élites se sont accaparées des terres rurales sans aucun respect de la procédure en la matière. .Elles entretiennent  une spéculation foncière alors qu’à côté de cette réalité plus de 90 % des terres paysannes demeurent dans une insécurité foncière sans précédent.  Dans  plusieurs contrées d’Uvira ou des hauts plateaux du territoire de  Kalehe par exemple, il n’est pas rare de constater que des centaines  d’hectares ne sont nullement mis en valeur  (en moyenne 2 vaches pour 50 hectares)  pendant que des milliers des citoyens continuent à vivre dans les camps des déplacés par manque de lopins des terres pour la survie.  Cette pratique génère constamment des conflits entre les grands concessionnaires et les paysans se traduisant par la création des milices commises soit à la garde des terres  des élites urbaines  ou carrément vouées à la conquête des espaces au profit de la paysannerie.

Dans ce contexte, l’administration foncière, prise au piège dans une bureaucratie indescriptible et incompréhensible se meurt  à petit feu difficile pour elle de s’impliquer et de départager les protagonistes. La plupart des bureaux des titres immobiliers   et des services du cadastre sont en ruine. Les fonctionnaires dont plus de 80 %  ne sont que des nouvelles unités, sont obligés de garder la documentation foncière à leurs  domiciles faute des bureaux les cas des circonscriptions foncières de Mwenga et Kalehe sont très illustratifs. Ceci constitue un très gros risque, au regard de l’importance des documents avec lesquels ils se baladent en longueur des journées. Certes, l’un des risques majeurs demeure la corruption qui gangrène ces services, s’illustrant par des doublons des titres, la falsification des documents cadastraux, des cessions des droits d’une même concession à plusieurs prétendants, le vol et la perte des documents très important.

Il est évident que la bourgeoisie urbaine constituée pour la plupart des élites politico – militaires  semble tirer des gros bénéfices  de ce système. Dans certaines agglomérations urbaines, elles sont les seules à manipuler des gros montants d’argent sur base des morcellements multiples reléguant les gagne – petit dans des bidonvilles impensablement urbanisés. Bukavu, elle même est l’exemple par excellence de cette ruralisation de la ville. Par contre, dans les campagnes elle s’octroie des vastes étendues des terres tirées des réserves communautaires qu’elle entretient par un système de métayage (contrat en vertu duquel le propriétaire d’un domaine rural le loue temporairement à une autre qui l’exploite moyennant partage des fruits. En RD Congo ce forme de contrat est souvent oral, le partage du fruit se faisant inéquitablement au profit du concessionnaire),  qui du reste s’apparente aux formes de l’esclavage moderne. Ne peuvent bénéficier des droits précaires sur les terres de ces concessionnaires  que les membres des communautés qui acceptent de s’aliéner derrière une certaine idéologie politique. Dès lors le foncier devient une affaire de marchandage politique dans laquelle il faut s’aligner pour survivre.

Au regard de cette réalité il devient hypothétique d’envisager  une  réforme foncière en RDC qui prenne en compte les points de vue des citoyens ordinaires. Les  grands bénéficiaires du système foncier actuel  sont  ceux-là  même qui sont appelés à prendre des orientations politiques révolutionnaires afin de déconstiper le processus de la réforme foncière qui semble bloquer pour de bon. Au compte des acteurs politiques impliqués, on dénombre des ministres, des députés tant nationaux que provinciaux, des mandataires de l’Etat, les officiers de haut rang de l’armée et de la police, etc 

Le blocage actuel de la réforme foncière apparait  donc comme le fruit d’une politisation à outrance de la problématique foncière avec des conséquences incalculables sur le plan techniques :
-       Le comité de pilotage censé tracer les grandes options du travail de la CONAREF est devenu une affaire des ministres sectoriels  alors que le décret  du 31 mai 2013 le voulait plus technique
-       La plupart  des spécialistes  dans le domaine du foncier ont tourné le dos  à la commission nationale de la réforme foncière de suite de plusieurs pressions politiques exercées sur eux
-       La CONAREF dont la plupart de son  personnel est désigné sur base des appartenances politiques plutôt que sur fond des compétences réelles en la matière, se retrouve inopérante de suite d’un manque criant des fonds nécessaires pour son fonctionnement
-       La feuille de route définie lors de l’atelier national sur le foncier en RDC tenu en 2012 est devenue obsolète et anachronique, ne répondant plus aux besoins actuels faute de financement. Le  budget annuel du gouvernement ne prévoit que des sommes minimes pour payer les frais de loyer de la CONAREF, alors que le processus lui même a besoin de plus au moins  37 millions de dollars comme défini en 2012 lors de l’atelier sur le foncier en RDC. La CONAREF doit sa survie grâce à quelques fonds de fonctionnement octroyés par les bailleurs bilatéraux de la RDC couvrant les salaires des quelques employés.  
-       Les structures provinciales devant soutenir l’action de la commission nationale n’ont jamais vu le jour, ainsi la question de la réforme foncière demeure une affaire du national  sans aucun ancrage local

Face à cette situation, seule l’action de la société civile devrait permettre de booster les différents acteurs impliqués dans le processus de la réforme foncière et en premier ordre le ministère national des affaires foncière. Elle devrait de ce fait  travailler pour la dépolitisation de la problématique foncière en ramenant les discussions sur un terrain purement technique dans l’optique de doter le pays d’un nouvel cadre juridique  qui redonnerait les mêmes droits à tous les citoyens.

L’organisation Alternatives RDC, croit qu’il est impérieux  et urgent de restructurer la Commission Nationale de la Réforme Foncière en mettant à sa disposition des cadres techniques capables de centraliser toutes les réflexions et les bonnes pratiques  sur les questions foncières  en travaillant sur un cadre normatif moins conflictuel, plus accessible et conciliateur.  Cette restructuration devrait prendre en compte les dynamiques provinciales et locales de manière à rendre ce processus plus participatif et national. Ceci n’est possible que si les différents acteurs impliqués dans le secteur foncier  sont associés dans l’élaboration d’une nouvelle feuille de route plus réaliste et intégrée dans le programme des gouvernements nationaux et provinciaux. En même temps, les questions des  conflits fonciers devraient attirer une attention particulière   de l’autorité en mettant en place des mécanismes de transformation des conflits plus novateurs, les cours et tribunaux ayant montré leurs limites en cette matière. 

Par Loochi Muzaliwa 

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