L’organisation Congolaise Alternatives, spécialisée dans la gouvernance
foncière, exprime des vives inquiétudes
sur la situation actuelle de la réforme foncière en RDC qui semble marquer un
coup arrêt. Cette paralysie s’apparente
au sort réservé au processus de la révision du code minier qui sur
influence des industries extractives a été renvoyée aux calendes Grecques au grand
damne des communautés locales.
Ce blocage du processus de la réforme
foncière vient se produire au moment où les conflits fonciers sanglants ont
atteint un niveau exponentiel surtout
dans les milieux ruraux en province du Sud - Kivu ; entrainant des
expropriations fréquentes sans observance de la loi, les démolitions pour cause
d’utilité publique sans indemnisation, etc. Plus loin ce sont des communautés
qui s’opposent sur les modes de gestion des terres se traduisant par des
incendies des villages entiers, des déplacements de populations et des
massacres. Dans ce contexte, les élites politiques seraient soupçonnées de tirer de gros bénéfices du système foncier
actuel car semble – t il, ils n’auraient pas intérêts de déconstiper le processus de la
réforme foncière si non de le bloquer à tout jamais.
Lancé depuis 2012, le processus de la
réforme foncière en RDC a connu très peu
d’évolution. Si en 2013, la commission nationale de la réforme foncière a été
mise en place sur base d’un décret du premier ministre, il est fort de
constater que quatre ans plus tard, les résultats se font rares et peu d’actions
sont à mettre à l’actif
de cette commission.
L’avènement de ce processus avait pourtant
suscité dans le chef de la population
beaucoup d’espoirs. Il était évident pour les acteurs impliqués dans le secteur foncier que le
cadre légal à la base de plusieurs confusions, allait finalement être éclairci.
Ceci, en mettant fin aux pratiques
opportunistes au sein des systèmes
sociaux locaux, orchestrées par certaines élites politico – militaires. Ces
derniers sont souvent accusés de manipuler les règles multiples édictées par l’Etat et les pratiques traditionnelles qui tentent
à préserver les usages coutumiers en s’assurant une réelle maitrise foncière.
Cette confusion a occasionné un laisser-aller
dans lequel ces élites se sont accaparées des terres rurales sans
aucun respect de la procédure en la matière. .Elles entretiennent une spéculation foncière alors qu’à
côté de cette réalité plus de 90 % des terres paysannes demeurent dans une
insécurité foncière sans précédent. Dans
plusieurs contrées d’Uvira ou des hauts plateaux du territoire de Kalehe par exemple, il n’est pas rare de
constater que des centaines d’hectares
ne sont nullement mis en valeur (en
moyenne 2 vaches pour 50 hectares)
pendant que des milliers des citoyens continuent à vivre dans les camps
des déplacés par manque de lopins des terres pour la survie. Cette pratique génère constamment des conflits
entre les grands concessionnaires et les paysans se traduisant par la création
des milices commises soit à la garde des terres
des élites urbaines ou carrément vouées
à la conquête des espaces au profit de la paysannerie.
Dans ce contexte, l’administration foncière,
prise au piège dans une bureaucratie indescriptible et incompréhensible se
meurt à petit feu difficile pour elle de
s’impliquer et de départager les protagonistes. La plupart des bureaux des
titres immobiliers et des services du
cadastre sont en ruine. Les fonctionnaires dont plus de 80 % ne sont que des nouvelles unités, sont
obligés de garder la documentation foncière à leurs domiciles faute des bureaux les cas des
circonscriptions foncières de Mwenga et Kalehe sont très illustratifs. Ceci
constitue un très gros risque, au regard de l’importance des documents avec
lesquels ils se baladent en longueur des journées. Certes, l’un des risques
majeurs demeure la corruption qui gangrène ces services, s’illustrant par des
doublons des titres, la falsification des documents cadastraux, des cessions
des droits d’une même concession à plusieurs prétendants, le vol et la perte
des documents très important.
Il est évident que la bourgeoisie urbaine
constituée pour la plupart des élites politico – militaires semble tirer des gros bénéfices de ce système. Dans certaines agglomérations
urbaines, elles sont les seules à manipuler des gros montants d’argent sur base
des morcellements multiples reléguant les gagne – petit dans des bidonvilles
impensablement urbanisés. Bukavu, elle même est l’exemple par excellence de cette
ruralisation de la ville. Par contre, dans les campagnes elle s’octroie des
vastes étendues des terres tirées des réserves communautaires qu’elle entretient
par un système de métayage
(contrat en vertu duquel le propriétaire d’un domaine rural le loue
temporairement à une autre qui l’exploite moyennant partage des fruits. En RD
Congo ce forme de contrat est souvent oral, le partage du fruit se faisant
inéquitablement au profit du concessionnaire),
qui du reste s’apparente aux formes de l’esclavage moderne. Ne peuvent bénéficier
des droits précaires sur les terres de ces concessionnaires que les membres des communautés qui acceptent
de s’aliéner derrière une certaine idéologie politique. Dès lors le foncier
devient une affaire de marchandage politique dans laquelle il faut s’aligner
pour survivre.
Au regard de cette réalité il devient
hypothétique d’envisager une réforme foncière en RDC qui prenne en compte
les points de vue des citoyens ordinaires. Les grands bénéficiaires du système foncier
actuel sont ceux-là
même qui sont appelés à prendre des orientations politiques
révolutionnaires afin de déconstiper le processus de la réforme foncière qui
semble bloquer pour de bon. Au compte des acteurs politiques impliqués, on
dénombre des ministres, des députés tant nationaux que provinciaux, des
mandataires de l’Etat, les officiers de haut rang de l’armée et de la police, etc
Le blocage actuel de la réforme foncière apparait
donc comme le fruit d’une politisation à
outrance de la problématique foncière avec des conséquences incalculables sur
le plan techniques :
-
Le
comité de pilotage censé tracer les grandes options du travail de la CONAREF
est devenu une affaire des ministres sectoriels
alors que le décret du 31 mai
2013 le voulait plus technique
-
La
plupart des spécialistes dans le domaine du foncier ont tourné le
dos à la commission nationale de la
réforme foncière de suite de plusieurs pressions politiques exercées sur eux
-
La CONAREF
dont la plupart de son personnel est
désigné sur base des appartenances politiques plutôt que sur fond des compétences
réelles en la matière, se retrouve inopérante de suite d’un manque criant des
fonds nécessaires pour son fonctionnement
-
La
feuille de route définie lors de l’atelier national sur le foncier en RDC tenu
en 2012 est devenue obsolète et anachronique, ne répondant plus aux besoins
actuels faute de financement. Le budget
annuel du gouvernement ne prévoit que des sommes minimes pour payer les frais
de loyer de la CONAREF, alors que le processus lui même a besoin de plus au
moins 37 millions de dollars comme
défini en 2012 lors de l’atelier sur le foncier en RDC. La CONAREF doit sa
survie grâce à quelques fonds de fonctionnement octroyés par les bailleurs
bilatéraux de la RDC couvrant les salaires des quelques employés.
-
Les
structures provinciales devant soutenir l’action de la commission nationale
n’ont jamais vu le jour, ainsi la question de la réforme foncière demeure une
affaire du national sans aucun ancrage
local
Face à cette situation, seule l’action de
la société civile devrait permettre de booster les différents acteurs impliqués
dans le processus de la réforme foncière et en premier ordre le ministère
national des affaires foncière. Elle devrait de ce fait travailler pour la dépolitisation de la
problématique foncière en ramenant les discussions sur un terrain purement
technique dans l’optique de doter le pays d’un nouvel cadre juridique qui redonnerait les mêmes droits à tous les
citoyens.
L’organisation Alternatives RDC, croit
qu’il est impérieux et urgent de
restructurer la Commission Nationale de la Réforme Foncière en mettant à sa
disposition des cadres techniques capables de centraliser toutes les réflexions
et les bonnes pratiques sur les
questions foncières en travaillant sur un
cadre normatif moins conflictuel, plus accessible et conciliateur. Cette restructuration devrait prendre en
compte les dynamiques provinciales et locales de manière à rendre ce processus
plus participatif et national. Ceci n’est possible que si les différents
acteurs impliqués dans le secteur foncier
sont associés dans l’élaboration d’une nouvelle feuille de route plus
réaliste et intégrée dans le programme des gouvernements nationaux et
provinciaux. En même temps, les questions des conflits fonciers devraient attirer une
attention particulière de l’autorité en mettant en place des
mécanismes de transformation des conflits plus novateurs, les cours et
tribunaux ayant montré leurs limites en cette matière.
Par Loochi Muzaliwa
Par Loochi Muzaliwa