Chulwe est l’un des six villages
du groupement de Luhago en chefferie de Nindja en territoire de Kabare. Au
cours des dix dernières années il a connu de fortes instabilités dues
particulièrement à sa proximité avec le groupement d’Iregabaronyi et le village
Lumbimbe ; deux entités couvertes
par de larges forêts qui abritent depuis
des longues dates des groupes armés tant nationaux qu’étrangers.
Au-delà de la forte influence des localités voisines, cette entité
a été également sérieusement affectée par les conflits fonciers et de pouvoir
qui secouent l’ensemble de la chefferie de Nindja. Ainsi, analyser la dynamique conflictuelle dans la localité
de Chulwe revient à replacer les récents incidents dans un contexte plus large
qui affecte les trois groupements de la chefferie de Nindja[1] en
territoire de Kabare. La présente analyse flash s’inscrit dans une dimension plus
large de l’ONG Alternatives RDC qui mène un projet de transformation des
conflits dans cette zone.
Les derniers affrontements du 19 et 21 avril 2015 opposant les
FARDC aux groupes armés de Blaise et Lukoba[2],
ont eu un impact sérieux sur le plan humanitaire et sécuritaire dans les 3
groupements que compte la chefferie de Nindja, notamment celui de Luhago, Ihembe et Iregabaronyi.
Au soir du 19 avril, des combattants armés du Groupe armé du
seigneur de guerre Blaise ont pris d’assaut le centre de la chefferie de Nindja
orientant leur cible sur les deux campements situés au centre de Ihembe, celui
de Bushamba et celui proche de la résidence du Mwami. Le bilan a fait état de
cinq officiers [3]FARDC
tués et plus de 20 cases des militaires incendiées. Par la même occasion, les
assaillants ont mis à sec la résidence du mwami Freddy Nanindja sans faire de
victime dans sa famille. On déplore cependant un pillage systématique des biens
de la maison. Pris de peur, plusieurs familles ont préféré se réfugier vers
Luhago localité située à 8 heures de marche au sud-ouest de Ihembe[4].
D’autres sources ont fait état de 4
militaires tués et 3 autres blessés dans les rangs des FARDC alors que les
assaillants auraient perdu 3 de leurs.[5]
Trois jours après, le 21 avril 2016, le groupe de Lukoba faisant
alliance avec les seigneurs de guerre Mabala (actif dans le territoire voisin de Shabunda) et Maheshe (actif dans le territoire de
Walungu) incendiaient onze maisons dans les villages proche de Chulwe.
Plusieurs autres infrastructures n’ont pas été épargnées, c’est le cas des
bureaux de l’Institut Chulwe et de
l’Eglise de la 5ème CELPA. Cette attaque est survenue dans un
contexte où cette localité accueille plus de 549 ménages[6]
fouillant les affrontements permanents dans le groupement d’Iregabaronyi.
Plusieurs familles pris de peur ont préféré aller se réfugier plus loin à Nzibira où se
situe la plus grande base des FARDC[7]
dans la région.
Un héritage marginal
Les récents affrontements de Chulwe et Ihembe se situent dans un
contexte des conflits endémiques qui
caractérisent la zone. Déjà, vers les années 2005, cette région avait été
sérieusement affectée par la présence des FDLR qui avaient installé leur Etat
Major à Mbesse dans la forêt d’Iregabaronyi, orientant leurs opérations dans
les territoires de Shabunda, Kalehe,
Walungu et Kabare. On se rappellera des tristes événements de Kaniola[8].
Affligés par une surexploitation des FDLR et suite aux faiblesses constatées
dans les opérations menées par les FARDC avec l’appui de la MONUSCO, les
groupes d’auto défense sont nés dans cette zone. Le premier à prendre l’initiative fut Gaston.
Après avoir mené avec succès la traque contre les FDLR (le dernier FDLR quitte
la chefferie de Nindja le 31 décembre 2012), il s’illustra par la suite par des
attaques contre les populations civiles, il succomba dans une embuscade qui lui
fut tendue par les FARDC en 2013. A sa mort, la succession posa problème, sa
famille insista que son petit frère Blaise puisse lui succéder à la tête du
mouvement, mais la majorité des combattants optèrent pour Nyaderema son adjoint. Le groupe fut scindé
en deux, ce qui réveilla de vieux conflits fonciers de clans[9] autour des questions foncières. Depuis lors,
les deux factions se sont affrontées régulièrement dans les trois groupements
de Nindja.
Les groupes armés au service des deux prétendants au trône ?
A la mort du Mwami Alexandre affaibli par la maladie et le poids
de l’âge (80 ans) le 30 aout 2013, les
conflits de succession opposèrent deux de ses fils ; Marcel et Freddy.[10]
Très vite un flou entoura la gestion de
la chefferie, Freddy se fut intronisé le 3 septembre 2013 par certains gardiens
de coutume sur base d’un testament qu’aurait laissé le decujus au mwami Kabare[11]
(selon les propos de Freddy). Marcel affirme pour sa part détenir le vrai
testament de son père et l’aurait même présenté aux autorités provinciales. Ce
qui aurait motivé sa désignation en qualité d’intérimaire à la tête de la
chefferie par le gouvernorat de province
en attendant sa confirmation par arrêté du Ministre national de l’intérieur. Ces
tensions étaient déjà perceptibles du vivant du Mwami Alexandre, ce qui
occasionna le retard de son enterrement 14 jours durant.[12]
En vue de se rassurer du
contrôle effectif de la chefferie, Freddy et Marcel auraient été soutenus par
certains groupes armés actifs dans la zone. Marcel aurait noué des relations avec Blaise alors
que Freddy aurait fait de même avec Lukoba [13]qui
dans l’entre temps avait succédé à Nyanderema intégré au sein des FARDC sur
influence de Freddy. Lukoba n’avait pas approuvé la démarche de Freddy car estimant qu’il venait de les affaiblir
face au camp de Blaise. Dans cette crise de confiance, Freddy s’était fortement rapproché des FARDC. Ces derniers lui accordèrent une protection en
installant un campement près de sa résidence. Encouragé par cette protection,
il initia avec les FARDC une vaste offensive militaires contre les deux groupes rivaux. Ces
opérations furent lancées en janvier 2016 par les éléments du bataillon cadre[14]
contre les éléments de Blaise dans la forêt de Iregabaronyi[15],
le bilan est resté inconnu. Plusieurs attaques seront ainsi menées en vue de le
déloger de sa base. Suite aux incapacités des éléments du bataillon cadre
composé essentiellement des officiers militaires, des forces combattantes
seront déployées à Ihembe. Ces troupes engageront les affrontements le 26 mars
2016 à 6 heures du matin en vue de détruire l’Etat major de Blaise basé à
Kasimba. Elles rencontrèrent une grande résistance de la part des éléments de Blaise. Mais la
riposte de ce dernier ne se fut pas attendre, il prit d’assaut le chef lieu
d’Ihembe en incendiant les deux campements
des FARDC et pilla la résidence du Prince Freddy dans la nuit du 19 avril. Celui ci s’y rendra dans la matinée du 20
avril en compagnie du commandant du 3403e régiment pour constater
les faits. Le 21 avril, onze maisons
furent incendiées à Chulwe par les hommes de Lukoba sans que les FARDC ne
parviennent à les défaire.
En ces jours, un peloton des FARDC du 3303e régiment
reste posté à Ihembe pendant qu’ une trentaine des éléments de
Lukoba munis de plus au moins 27 armes AK 47 et 1 PKM occupent les localités de
Ngoma 1 & 2 dans la forêt de Iregabaronyi[16].
Quant à Blaise Lukisa, il semble être plus lourdement armé que Lukoba , il est
doté de 2 PKM et d’une quarantaine de personnes qui contrôlent effectivement
Kashenyi dans le groupement de Iregabaronyi, Kasimba dans Ihembe et
partiellement Caminunu dans le groupement de Kalonge en territoire de
Kalehe. Outre l’implication de ces
milices dans les conflits locaux, elles restent connecter aux dynamiques
environnantes. C’est le cas de Blaise qui semble fortement impliqué dans les
conflits fonciers et de pouvoir de
Kalonge en nouant des alliances avec les autres Raia Mutomboki de Bunyakiri.
Une double administration
Les récents incidents de Chulwe et Ihembe auraient quelque peu
affaibli Freddy et du coup Marcel en a profité pour accroitre son cercle
d’influence en accentuant son processus de remplacement des chefs locaux proche
de Freddy. Un des exemples récents, est la désignation de monsieur Muhimba en
qualité de chef de village de Chulwe en remplacement de Dunia Mulengera considéré
comme proche de Freddy par le chef de groupement de Luhago, un allié fidèle de
Marcel. Ce dernier prit le soin d’en informer préalablement les FARDC et le chef
de poste de l’ANR. Ainsi, l’incendie de Chulwe semble être intimement lié au
tiraillement entre les deux chefs de
village, alliés aux deux prétendants au trône.
Chulwe est une localité importante qui
se retrouve au carrefour de trois territoires à savoir Walungu, Kabare et
Shabunda et constitue de ce fait une bourgade importante en termes de la
dynamique commerciale. Plusieurs sites
miniers sont situés dans les environs directs de Chulwe notamment Luntukulu,
Nzovu[17],
etc. Dans le temps Chulwe a été un
centre de négoce important générant des revenus à la chefferie de Nindja.
Chulwe est donc un site très important et son contrôle constitue
une raison suffisante pour que les deux parties se disputent pour son contrôle.
Conclusion
Le conflit de Nindja a des conséquences néfastes sur les
interventions des organisations humanitaires dans la zone en termes de
perception des acteurs des acteurs au conflit. Pour les partisans de Freddy,
ils considèrent que les organisations non gouvernementales orientent plus leurs interventions à Luhago,
pourtant selon eux très peu affecté par les affres de la guerre. De même
intervenir à Ihembe devient sujet à controverse pour les fidèles de Marcel. Pareille
situation pourrait fortement insécuriser les humanitaires dès lors que
certains acteurs les considéreraient comme partie au conflit, de suite des
accointances supposées de certains
humanitaires avec l’un ou l’autre camp adverse.
Un des axes prioritaires sur lesquels il faudra agir sera
notamment de :
-
Mener un
plaidoyer auprès du ministère provincial des affaires intérieures et du
Gouvernorat de province afin d’œuvrer pour le rapprochement des prétendants au
trône à travers un processus de dialogue
entre les deux parties afin de trouver un consensus familial avant la
promulgation de l’arrêté du Ministre National de l’intérieur
-
Sensibiliser
la hiérarchie des FARDC afin que leurs
éléments déployés sur terrain jouent un rôle neutre et parlent un même langage
avec les autorités provinciales.
-
D’envisager
une mission inter agence au niveau du cluster protection et de OCHA dans la
chefferie de Nindja sur ses deux axes (Luhago[18]
et Ihembe[19])
afin d’évaluer la situation humanitaire
et sécuritaire et orienter ainsi les interventions urgentes dans la zone
-
De
sensibiliser les organisations humanitaires et
de développement opérant dans la zone de demeurer sensibles au conflit
de manière à ne pas s’exposer sur le plan sécuritaire, le conflit étant dans sa
phase la plus ouverte.
[1] Les trois groupements de Nindja sont Ihembe (le chef lieu de la
chefferie), Iregabaronyi et Luhago
[2] Il est devenu une coutume que les groupes armés portent les noms de
leurs leaders. Les deux chefs de guerre appartiennent à la communauté Tembo
(mais ceux ci n’ont aucun lien de famille avec ceux de Bunyakiri). Notons que
les deux groupes ne sont pas alliés mais s‘opposent sur fond d’intérêts
[3] Deux capitaines auraient été tués dont Swedi et Bora
[4] Ces déplacements n’ont été que pendulaires, la majorité des ménages
sont retournés à Ihembe.
[5] Les FARDC n’ont jamais rendu un bilan officiel
[6] La source ici est le centre de santé de Chulwe
[7] Il s’agit ici du 3303e régiment des FARDC, à Kalonge c’est
le 33012e régiment qui est déployé
[8] cfr une étude menée par UPDI en 2007
[10] Marcel est l’ainé et Freddy est le petit frère. En son temps Marcel
avait déjà assuré l’intérim à la tête de la chefferie, par la suite Freddy
assuma aussi l’intérim jusqu’à la mort de son père
[11] Freddy et Kabare sont très proches. Les affirmations ici sont celles
de Freddy
[12] le corprs du Mwami Alexandre fut gardé à la morgue de l’hôpital
général de Bukavu. Avant d’aller enterrer le mwami une équipe fut envoyée sur
terrain avec à sa tête le conseiller politique du gouverneur Marcellin
Chishambo
[13] Ces affirmations sont à prendre avec réserve dès lors que les deux le
nient alors que les personnes rencontrées affirment le contraire
[14] Ce bataillon est constitué essentiellement des officiers militaires du
3303e. Ceci a été considéré comme une faiblesse car n’étant pas
destiné à combattre dans une zone aussi chaude
[15] Principalement dans les villages de Kasimba, Kasheyi et Cironge
[16] Les hommes de Lukoba s’éparpillent même à Walungu, un de leurs
combattants a été arrêté le mardi 10 mai à Chishadu alors qu’ils venaient
d’enlever un paysan à Muyeye
[17] Des carrières qui appartenaient dans le temps à société SOMINKi
[18] L’axe Luhago en passant par Burhale, Nzibira et Chishadu
[19] L’axe Ihembe englobe également Iregabaronyi (en passant par Mulume
munene, route en très mauvais état
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